L'île aux enfants d'Ariane Bois
La Lectrice

L’île aux enfants – Ariane Bois

Voici venu le temps, des rires et des chants… Si chez vous aussi ce titre vous évoque le monde merveilleux de Casimir, détrompez-vous, car L’île aux enfants d’Ariane Bois n’a rien du pays joyeux des enfants heureux. Ravie qu’un roman aborde enfin la question de ceux qu’on a appelé “les enfants de la Creuse”, et notamment dans la collection Pointillés de chez Belfond que j’affectionne tout particulièrement, je me suis empressée de le découvrir à sa sortie.

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Pauline, six ans, et sa petite soeur Clémence coulent des jours heureux sur l’île qui les a vues naître, La Réunion. Un matin de 1963, elles sont kidnappées au bord de la route et embarquent de force dans un avion pour la métropole, à neuf mille kilomètres de leurs parents. A Guéret, dans la Creuse, elles sont séparées.

1998 : quelques phrases à la radio rouvrent de vieilles blessures. Frappée par le silence dans lequel est muré sa mère, Caroline, jeune journaliste, décide d’enquêter et s’envole pour La Réunion, où elle découvre peu à peu les détails d’un mensonge d’Etat.

A travers l’évocation de l’enlèvement méconnu d’au moins deux mille enfants réunionnais entre 1963 et 1982, dans le but de repeupler des départements sinistrés de la métropole, Ariane Bois raconte le destin de deux générations de femmes victimes de l’arbitraire et du secret. L’histoire d’une quête des origines et d’une résilience, portée par un grand souffle romanesque.

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Le roman d’une affaire méconnue

J’avais entendu parler de la triste histoire des enfants de la Creuse il y a quelques années, en tombant sur une vidéo Facebook que j’ai d’abord prise pour un canular. J’étais bien triste de constater qu’il ne s’agissait en rien d’une fake news, et pire encore, que cette affaire était finalement aussi méconnue.

Pendant quasiment vingt ans, l’Etat français a organisé le déplacement de plus de deux mille enfants réunionnais vers la métropole, pour repeupler des départements comme la Creuse. Les parents des enfants, souvent illettrés, ont laissé partir leurs enfants en échange de promesses d’avenir meilleur ou parfois d’une petite somme d’argent. On leur a dit qu’ils ne partiraient pas longtemps, qu’ils reviendraient bientôt, que leur petit garçon deviendrait pilote d’avion et que leur petite fille ferait de grandes études.

En réalité, leurs enfants n’ont pas tous connu le destin formidable qu’on leur promettait. Beaucoup ont été placés dans des familles bien heureuses de recevoir de l’argent contre un minimum de bons soins, quand d’autres plus malveillantes encore y ont vu la possibilité de trouver de la main d’oeuvre gratuite. Toutes les familles n’étaient pas motivées par la cupidité, fort heureusement, et beaucoup espéraient vraiment adopter un enfant pour l’élever et l’aimer comme l’un des leurs. Néanmoins, ces jeunes réunionnais ont connu un déracinement énorme et mis des années à faire reconnaître à l’Etat son manquement.

L’île aux enfants d’Ariane Bois ne saurait être le documentaire exhaustif de ce qui s’est avéré être une vaste entreprise de déportation d’enfants. Néanmoins, à travers la fiction et deux héroïnes qui ont vécu ce drame, l’auteure parvient à rendre compte de l’absurdité de cette politique comme des conséquences psychiques graves qu’elles ont entraîné chez des milliers d’enfants.

Le portrait de deux générations de femmes

Comment se reconstruire quand on ne sait pas d’où l’on vient ? Comment réussir à vivre quand soi-même on ne connaît pas son identité ? L’île aux enfants d’Ariane Bois est le roman de Pauline, une jeune fille réunionnaise qui grandit avec sa petite soeur Clémence près d’une rivière. Toutes deux y mènent une enfance simple et heureuse, jusqu’au jour où elles sont enlevées près de chez elles. On les met de force dans une voiture, puis dans un pensionnat et un avion, avec pour destination la métropole. Elles arrivent fières avec leur paire de tongs neuves mais vont pourtant vite déchanter. Elles sont frigorifiées, séparées de force, et on leur explique qu’elles ne seront plus soeurs. A présent, elles vivront dans de nouvelles familles, quitte à faire table rase de l’ancienne.

Pauline découvre que la métropole a un goût bien amer, et l’associera toujours à une certaine froideur, autant liée à la température extérieure qu’à l’attitude des gens. Elle découvre le racisme, la violence, les abus divers et variés, et grandit comme elle peut à une époque où le yé-yé et Salut les copains ! donnent pourtant envie de danser.

Plusieurs décennies plus tard, en 1998, c’est sa fille Caroline qui prend la parole. Elle s’apprête à démarrer ses études de journalisme, et découvre sur le tard les raisons du caractère sombre de sa mère. La radio du salon vient perturber le quotidien en annonçant un drame : des milliers d’enfants réunionnais auraient été enlevés et transférés en France jusqu’au début des années 80, soi-disant pour leur bien-être. Et si sa mère en avait fait partie ? Alors que celle-ci a oublié jusqu’aux détails de son enfance, elle décide de partir elle-même à La Réunion en quête de ses origines.

J’ai été terriblement touchée par ce roman aux héroïnes fortes malgré elles, et profondément lumineuses dans le drame. Ariane Bois a beaucoup travaillé la psychologie de ses personnages, et rend ainsi ce roman d’autant plus crédible et profond. Elle évoque les drames sans tomber dans le pathos, et met des mots justes sur les sentiments contradictoires que peuvent éprouver des personnages au destin contrarié.

L’île aux enfants d’Ariane Bois est un roman bouleversant qui permet de mettre en lumière ce scandale opéré par l’Etat français et encore trop souvent méconnu. Un roman d’utilité publique, aussi touchant qu’important pour le devoir de mémoire !

L'île aux enfants d'Ariane Bois

L’île aux enfants ; Ariane Bois

Editions Belfond – Collection Pointillés

14 mars 2019

228 pages

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