Ciel Percé
La Lectrice

Ciel Percé – Léa Lescure

Eva est danseuse. Après la mort accidentelle de sa compagne, elle élève Clément qu’elle a eu d’un amant de passage. Ces derniers temps, Eva passe de plus en plus souvent par des phases d’absence, ou au contraire d’euphorie, elle tient parfois des discours irrationnels. Ses proches doivent composer avec ses changements d’humeur et sa logique toute personnelle. Amir, avec qui elle refait sa vie, est partagé entre amour pour elle et abattement ; Clément, le fils surdoué, qui, malgré son jeune âge, comprend que sa mère change ; Nora, la meilleure amie, rongée par la culpabilité. Et Eva au milieu qui lutte pour ne pas voler en éclats.

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Parfois, il y a des articles que j’ai clairement la flemme d’écrire. Je fais durer le plaisir, parce que je sais d’avance que ça ne sera pas de la tarte. Cet article rentrait clairement dans cette catégorie.

Le roman dont je ne sais quoi penser

Car pour moi, parler de Ciel Percé, roman de la rentrée littéraire, ça relève un peu du défi. C’est peut-être positif me direz vous ; ce livre m’a fait passer par une kyrielle de sentiments. J’ai tourné les pages à une vitesse folle, avant de le délaisser un peu parce que je n’y voyais plus trop d’intérêt, j’ai trouvé l’écriture sensationnelle, et finalement plus tant que ça, j’ai cru comprendre l’histoire, et en fait non.

En bref, j’ai un peu pédalé dans la semoule pendant toute ma lecture, mais j’ai aimé ça quand même. Ciel Percé est ce genre de romans qui vous surprend de bout en bout. Il balaie toutes vos certitudes et vous pousse un peu dans vos retranchements.

C’est personnellement l’un des livres de la rentrée littéraire qui me faisait le plus envie, pour son pitch. Pour ceux qui ne le savent pas encore, j’adore tout ce qui touche à la danse. C’est un milieu exigeant, mais aussi un sport plein de sensibilité. Tout comme je lis et regarde énormément de choses touchant à la médecine, je suis toujours curieuse quand un livre ou un film traite de la danse (on en parle de la Relève de Benjamin Millepied qui sort aujourd’hui au ciné ? Give me five si comme moi tu sautes partout). Ici, Léa Lescure (elle-même danseuse), aborde à la fois la danse et la folie avec le personnage d’Eva, qui perd pied suite à sa séparation avec sa compagne Albane. Elle donne l’impression de transcender le monde, elle est contemplative, un peu paumée. Léa Lescure dresse le portrait fabuleux d’une femme à côté de ses pompes. Avec brio.

“A l’adolescence, Éva avait été braillarde, confiante, en pleine possession d’elle-même. Elle tranchait la vie comme une lame acérée, ton péremptoire, avis définitifs et jugements ciselés. Le monde était plaisamment radical ; elle jetait sur ses contours nets un regard averti. Puis, un jour, elle n’avait plus su.”

Quelque chose semble s’être brisé en Éva. Elle semble voler au-dessus du monde, tout lui semble extérieur. Elle s’est fait quitter, et la Terre semble s’être arrêtée de tourner. Ou du moins, on a légèrement l’impression qu’elle tourne, mais sans elle. Elle continue de danser, elle meut son corps avec les autres, elle se donne toute entière, mais quelque chose ne va plus.

“C’est comme si mon imaginaire s’était bloqué, avait alors dit Éva la fois précédente. C’est comme quand on a l’impression de reconnaître dans le visage des passants des gens que l’on a connus. On aperçoit un profil, une démarche ou un geste du poignet qui est familier ; le regard tique, le cœur s’emballe, on pense : Ah ! C’est François ! Et puis ce n’est pas lui. Ce n’est pas lui, mais il suffirait d’un pas pour qu’on persiste à le croire. Ça m’arrive tout le temps. C’est comme si je n’étais pas capable de générer d’autres visages, d’autres prénoms, comme si mon imagination me resservait indéfiniment les mêmes personnes, mais sous d’autres formes. Un panthéon avec deux trois noms.”

Elle nous embarque alors dans une folle aventure au sens propre du terme, un délire sans fin dont on comprend finalement peu de choses. Les points de vue successifs d’Amir et de Nora nous aident alors à trouver les clés, pour tenter de comprendre ne serait-ce qu’un minimum de sa folie. Car Eva est folle, son monde part à vau-l’eau et elle entraîne tout le monde avec elle.

“La chimie médicale, pas plus délicate qu’un Karcher, propose un ratiboisage général qui aplatit le délire en saccageant tout en bloc.”

J’ai globalement apprécié l’écriture de l’auteur, le rythme qu’elle essayait de donner à son récit pour le moins éclectique. C’est original, c’est quand même un peu ambitieux, et ça se ressent. C’était une lecture puissante, et je pense que les quelques extraits que j’ai déjà pu citer l’illustrent assez bien. L’auteur sait utiliser des images fortes, qui vous coupent le souffle (d’autres un peu moins, mais on ne gagne pas à tous les coups).

Des envolées lyriques… qui retombent comme un soufflé

Je pense malgré tout que cette lecture ne plaira pas à tout le monde. Car au-delà de l’écriture, ça s’essouffle un peu. C’est un peu confus, et j’en garde une impression assez mitigée.

Comme je l’avais prévu, j’ai fait de cet article un joyeux bordel, et je ne suis même pas sûre que cela reflète vraiment ce que j’ai pensé de ce livre. Car il m’a émue autant qu’il m’a ennuyée. Pour finir sur une note positive, je dirais tout de même que ce roman, s’il est déroutant, a au moins le mérite de ne pas vous laisser insensible. Il vous retourne, vous blasera peut-être, certes, mais vous mettra quand même pas mal de questions en tête.

Ciel Percé ; Léa Lescure

Kero

25 août 2016

256 pages

4 Comments

  • Electra

    j’aime bien ton billet – il résume assez bien par quelle étapes le livre t’a fait passer ! et moi aussi j’adore ce qui touche à la danse – j’ai vu le doc sur Millepied du temps à son arrivée à L’Opéra et puis j’avais aimé suivre un doc sur Arte qui suivait de jeunes danseurs dans une école allemande (je crois l’an dernier), c’était passionnant !

    • Laroussebouquine

      J’avais aussi vu son doc ‘Relève’ d’ailleurs sur Canal + en décembre dernier… Il m’avait tellement plu que c’est pour ça que je veux le revoir au ciné !
      Par contre je n’ai pas vu celui sur Arte…

  • carnetparisien

    Je trouve ton article plutôt clair pour ma part. Par contre, je ne suis pas sûre d’avoir envie de tomber dans les digressions d’une nana qui devient folle. Moi aussi j’adore la danse, mais si c’est un univers secondaire et que le récit est confus, je passe.

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