La Lectrice

De l’histoire du suicide et de l’Australie : Koala – Lukas Bärfuss

Lukas Bärfuss est invité dans sa ville natale pour donner une conférence sur un grand poète allemand, Kleist, dont la fin choisie nous est connue. Il y retournera quelques mois plus tard après le suicide de son frère. Comment expliquer un tel acte et le silence qui l’entoure ? Bärfuss cherche des réponses aux questions que son frère lui a laissées. Il passe de l’incompréhension à la colère, puis à la culpabilité, à la recherche de motivations et de points de comparaison dans l’histoire et dans la littérature. En se souvenant du surnom de son frère à l’adolescence, il part à la découverte du koala et de l’histoire tragique de l’Australie, comme si un nom pouvait influencer un destin. Tout en sondant l’insondable, il décrit l’occupation d’un territoire où s’affrontent hommes et nature. Un roman sur la violence, envers soi-même et autrui, qui remet en question notre ambition et notre mode de vie industrieux.

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Il y a parfois ces livres que l’on ouvre sans trop d’attentes, avec un léger goût de surprise, en espérant que celle-ci soit bonne. Koala fait sans aucun doute partie de ces livres.

En un peu moins de deux cents pages, Lukas Bärfuss nous emporte dans un voyage à couper le souffle, autant grâce à la beauté des paysages qu’à celle des mots pour les décrire. Et pourtant, ce roman (à mi-chemin entre témoignage, biographie et documentaire) ne démarre pas sur une note des plus douces. Le narrateur, qui n’est autre que l’auteur lui-même, se rend dans la ville où il a grandi pour y donner une conférence sur un poète allemand. Ce n’est pas une ville qu’il affectionne particulièrement, et pourtant le destin fait qu’il y revient très vite : son frère s’y est en effet suicidé.

Le suicide est un sujet quand même très présent dans la littérature (tout comme la mort de manière générale). Je pense notamment à Elle n’était pas d’ici de Patrick Poivre d’Arvor que j’avais beaucoup aimé l’été dernier, où ce dernier essaie tant bien que mal de comprendre le geste désespéré de sa fille Solenn. Néanmoins, je dois reconnaître avoir été impressionnée ici par le traitement qu’en fait l’auteur. Il dépiaute, il dissèque carrément le suicide. Il cherche la réponse dans les livres à une question qui reste insoluble : comment un homme peut-il en arriver là ? Avant de finalement retourner sa question : pourquoi les autres restent-ils en vie ?

“Il n’y avait pas à être désolé de sa mort. Elle n’avait rien d’inéluctable, mon frère l’avait cherchée. Des félicitations auraient été une réaction appropriée : le suicidé avait réussi et obtenu ce qu’il voulait.”

J’ai relevé un nombre assez incroyable de citations tant j’ai été séduite par la plume de l’auteur. Avec un sujet pareil, j’avoue que je n’en attendais pas moins, mais j’ai pris du plaisir à laisser couler certains paragraphes en les lisant et les relisant à haute voix. J’ai le sentiment que certaines phrases résonnent encore ; je pense d’ailleurs que le traducteur n’y est pas pour rien et qu’il mériterait sans doute d’être autant félicité que l’auteur, car son travail est d’une très grande qualité.

L’auteur montre avec beaucoup de justesse toutes les étapes qui ont pu entourer son deuil ; le déni, le chagrin, la colère ou l’acceptation, le pardon.

De la même manière qu’il tente d’expliquer l’inexplicable, le suicide de son frère, il retrace alors de façon presque épistémologique la naissance du surnom de son frère, celui du koala. S’ensuit alors l’histoire même de ce mammifère hors du commun jusqu’en Australie. L’auteur nous raconte toute l’arrivée des Anglais sur ce territoire qu’ils nomment l’enfer, uniquement habité par les aborigènes, jusqu’à la découverte du koala, quatorze ans plus tard. C’est une partie qui m’a peut-être un peu moins plu, en raison de son aspect très documentaire, même si j’ai appris beaucoup de choses sur l’histoire de l’Australie. Le lien entre les deux histoires est finalement un peu ténu à mon goût et au milieu du roman je me demandais combien l’auteur “allait retomber sur ses pattes”. Ce n’est finalement qu’une longue parenthèse au milieu du roman qui, si elle ne manque pas d’intérêt, ne m’a pas convaincue outre mesure.

Mais c’est sans aucun doute le seul point noir du roman à mes yeux, car celui-ci possède des qualités littéraires indéniables, et l’auteur aborde le sujet du suicide avec beaucoup de justesse et de pudeur. J’ai quand même adoré apprendre plus sur l’histoire du koala, ce petit animal qui n’est finalement qu’une bizarrerie de la nature et qu’on considère aujourd’hui comme une grosse peluche, les dessins animés et autres livres pour enfants étant passés par là pour nous donner cette image.

Encore merci aux éditions Zoé pour cette parution sur laquelle je ne me serais sans doute pas retournée en librairie, mais qui m’a énormément touchée !

“Il semblait ne pas y avoir de forme permettant de lui faire nos adieux, de paroles qu’on aurait pu prononcer, les pensées qui auraient pu apporter du réconfort ne figuraient dans aucun livre. Peut-être n’y avait-il même pas de nom pour ce sentiment, un mélange impossible de tristesse, de colère et d’incompréhension complète à l’égard du libre-arbitre qui s’était révélé ici. Aucune pensée qui aurait pu résumer ce qui se passait, la découverte que ce destin était à la fois sans pareil et d’une banalité affligeante, qu’il n’y avait rien à apprendre dans ce désenvoûtement de l’existence à travers la solennité de la mort. Il ne restait plus qu’à partir d’ici, à oublier et à s’en tenir fidèlement à la routine à laquelle on s’était soumis. Ne pas sortir trop tard du lit après le lever du jour et reprendre le travail qu’on avait interrompu la veille. Et le lendemain et le surlendemain seraient pareils, d’une vanité qu’on devait refouler pour pouvoir trouver de la joie dans sa vie, à son tour nécessaire pour conserver des forces et pouvoir accomplir son devoir – un cycle sans fin, le briser signifiait prendre congé de la société humaine et accepter la solitude.”

koala 2

Koala ; Lukas Bärfuss

Traduit par Lionel Felchlin

Editions Zoé

2 février 2017

173 pages

4 Comments

  • Electra

    oui, un drôle d’exercice que ce roman. Je viens de lire un article sur Solenn, enfin sur sa disparition. Si je le croise un jour en librairie, je pense que je le prendrais même si ce sujet me touche beaucoup. J’ai perdu un proche, c’est douloureux et oui ceux qui restent en sont profondément marqués.

    • Laroussebouquine

      Je pense que c’est une lecture qui ne pourra que te toucher… Et le sujet est traité avec beaucoup de pudeur donc aucun risque d’être choqué !

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