rapport à la rentrée littéraire
La Working Girl

Mon rapport à la rentrée littéraire

Cela fait désormais plus de trois ans que je travaille dans l’édition, et je suis donc amenée à présenter des titres de la rentrée littéraire pour la quatrième fois. Quand on travaille pour une maison d’édition de littérature, la rentrée est toujours un moment très particulier. Sans être l’accomplissement du travail d’une année – chaque maison publie des titres qu’elle défend tout au long de l’année et il serait donc malhonnête de dire qu’on ne travaille réellement bien que sur ceux qui paraissent à une courte période entre août et septembre – la rentrée est toujours une période particulière, aussi excitante qu’énergivore !

Aujourd’hui j’en profite donc pour vous parler de mon rapport à la rentrée littéraire depuis que je travaille dans l’édition… et de comment il a modifié mon point de vue de lectrice !

Pourquoi les éditeurs accordent-ils tant d’importance à la rentrée littéraire ?

C’est souvent une question qui revient et qu’on me pose lorsqu’on découvre que chaque année, plus de cinq à sept cents romans paraissent en quelques semaines à peine et viennent inonder les librairies.

Pourquoi autant de titres d’un coup ?

Tout d’abord, relativisons le chiffre. Il paraît énorme – et il l’est. Mais quand on sait que plus de soixante-dix mille nouvelles références de livres paraissent chaque année (tous genres confondus), cela ne semble finalement plus si énorme. Évidemment, certains éditeurs concentrent en quelques semaines un grand nombre de parutions, plus qu’à d’autres moments de l’année. Mais il ne s’agit que d’une poignée de grandes maisons quand la plupart ne publient qu’un à deux romans, ce qui n’est pas plus extravagant qu’à d’autres moments de l’année. Je vous conseille d’ailleurs sur le sujet l’excellent article de Nicolas Gary chez Actualitté, “La vérité sur les 511 romans de la rentrée littéraire 2020”, qui prouve bien que l’on peut encore une fois faire dire ce que l’on veut aux chiffres quand on sait pas exactement quelle réalité ils recouvrent.

Je ne reviendrai pas sur l’historique de la rentrée littéraire. Il faut croire qu’il ne me reste pas grand chose de mes cours d’histoire de l’édition, mais quoi qu’il en soit, je ne suis pas spécialiste du sujet. Néanmoins, une chose est sûre : il s’agit d’une sorte de tradition (et l’univers de l’édition n’étant pas très porté sur l’innovation et les pas de côté, il aime les traditions), qui fait qu’on accorde toujours plus d’attention à la littérature à l’automne. En effet, il n’y a qu’à ouvrir quelques magazines ou écouter la radio à cette période : vous verrez que la place laissée aux romans y est généralement plus importante qu’à d’autres moments de l’année !

Les grands prix d’automne

Enfin, on accorde aussi plus d’importance aux livres à cette période pour une autre tradition bien connue… les grands prix littéraires ! Les premières sélections tombent mi-septembre comme les feuilles d’automne : Goncourt, Renaudot, Médicis, tous les auteurs de rentrée veulent bien entendu en être. Il faut dire que certains prix prestigieux sont encore de belles promesses de vente et de succès pour un auteur comme pour la maison d’édition qui le remporte.

La rentrée littéraire, c’est donc un événement commercial ? Forcément que oui, et il ne sert à rien de s’en cacher ! On estime qu’il y a toujours plus de monde en librairie à la rentrée, avec un point culminant les semaines avant Noël (le livre restant le cadeau privilégié des Français, si c’est pas beau…). C’est pour cette raison que les éditeurs publient donc beaucoup (et pas seulement des romans de rentrée littéraire d’ailleurs) en fin d’année, avec l’espoir de vendre mieux.

Pourquoi j’aime travailler pour la rentrée littéraire

Depuis trois ans, j’ai travaillé pour trois maisons d’édition différentes. Leur point commun : elles publient toute ce qu’on considère être de la “littérature blanche”, ces titres si propices à la rentrée. En trois ans, mon rapport à la rentrée littéraire a finalement peu évolué : il s’agit d’une période que j’attends avec hâte autant que je la redoute un peu – mais l’excitation l’emporte toujours.

Dans les starting-blocks dès le printemps

Je n’ai jamais travaillé en tant qu’éditrice mais toujours du côté de la communication (relations presse ou événementielles, relations libraires). Dans tous les cas, la rentrée se prépare tôt : on commence à évoquer les programmes au début du printemps, alors qu’ils vont être présentés aux commerciaux qui vont aller les défendre en librairie.

Pour l’anecdote : c’est donc aussi pour cette raison que la rentrée 2020 ne pouvait être réduite à peau de chagrin après le confinement, même si elle a tout de même été grandement modifiée. Tous les programmes étaient déjà presque prêts en mars, et les contrats d’édition signés depuis bien plus longtemps encore !

Dès le mois de mai-juin, le marathon commence : il faut présenter ses livres aux journalistes comme aux libraires, avec l’espoir qu’ils l’emportent dans leur valise en vacances et aient envie de le défendre à la rentrée. Or la concurrence est rude : les éditeurs impriment un nombre d’épreuves immense pour toucher le maximum de monde, mais tout le monde fait de même. C’est pour cela aujourd’hui que de nombreux éditeurs organisent notamment des tournées de rentrée, où ils vont rencontrer des dizaines de libraires à travers la France pour présenter leur cru.

Et mon point de vue dans tout ça ?

J’aime cette période qui consiste à préparer la rentrée très en amont. On ne va pas se le cacher, c’est toujours plus facile lorsqu’on a aimé les livres que l’on doit défendre. Parfois, c’est terriblement ingrat : on parle de livres à des gens qui ne s’y intéressent déjà pas, mais il faut savoir les vendre quand même. Même si on sait déjà au fond que le retour sera peut-être médiocre. Mais de temps en temps, il se passe quelque chose de magique, comme un alignement des planètes. Le livre que vous avez présenté intéresse, vos prescripteurs le lisent, l’adorent, et ça marche. Et cette petite réussite vaut tout l’or du monde (enfin, pour moi en tout cas).

La rentrée en elle-même est ensuite une période toujours un peu particulière, où on a le sentiment que les jeux sont faits après des mois de préparation, et qu’il ne faut en même temps surtout pas relâcher ses efforts pour que ses titres se démarquent. Comme il n’y a pas de recette magique et que chaque titre est unique, parfois ça marche, parfois malheureusement, c’est beaucoup plus compliqué.

C’est aussi ça, la rentrée littéraire. Voir des livres se transformer en succès, et d’autres passer complètement à la trappe.

 

rapport à la rentrée littéraire

 

Mes meilleurs souvenirs de rentrée

En trois ans, j’ai eu quelques souvenirs de rentrée assez fantastiques ! En vrac, voir un de ses romans aller jusque sur la dernière liste du Goncourt (le remporter aurait été encore plus fabuleux, mais on ne peut pas tout avoir), voir d’autres romans remporter de très beaux prix et profiter de l’ambiance d’une maison désormais en liesse, présenter son programme à quelques trois cents libraires en une journée et avoir des courbatures partout à force de soulever des kilos de livres, trinquer au succès d’un auteur et à une nouvelle réimpression qui s’annonce, écouter fébrilement à la radio un primo-romancier répondre à une interview pour la première fois, entendre un libraire au téléphone qui vous dit que votre livre est sublime, magique, qu’il l’a fait pleurer et qu’il en fera à coup sûr son coup de cœur de rentrée…

Ce sont peut-être de petites choses. Pour certains elles ne voudront peut-être rien dire. Mais en ce qui me concerne, c’est pour beaucoup ce qui me rappelle pourquoi j’aime mon métier.

Comment mon rapport à la rentrée littéraire a évolué en tant que lectrice

Forcément, après trois ans à travailler ardemment pour défendre certains titres chaque automne, mon rapport à la rentrée littéraire en tant que lectrice a lui fortement évolué.

Lire plus ou moins de livres de la rentrée ?

Les deux mon capitaine ! Qui dit travail dans l’édition dit tentations tous azimuts. Forcément, quand on travaille sur la rentrée, on étudie forcément un peu la concurrence. Surtout, à force d’écouter des émissions littéraires ou de lire toutes les pages livres de certains magazines, on finit toujours par être tenté par certains titres d’autres éditeurs. J’ai commencé à m’intéresser à la rentrée en tant que blogueuse il y a peut-être cinq ans, mais je n’ai jamais lu autant de livres de celle-ci que depuis trois ans.

Une autre raison à cela ? Celle plus évidente… Les blogueurs se sont mis à recevoir des exemplaires en avance, au même titre que les journalistes et libraires. Et cela a peut-être plus changé mon regard sur la rentrée que tout le reste.

Quand les blogueurs littéraires se sont passionnés pour la rentrée

Depuis quelques années, les maisons ont découvert l’intérêt des blogueurs et en particulier des bookstagrameurs (blogueurs livres sur Instagram pour ceux qui débarquent) et se sont mis à leur envoyer des exemplaires presse afin de parler de leurs livres. Si le phénomène a cours depuis presque une dizaine d’années, depuis trois-quatre ans, cela s’est clairement accéléré, et la rentrée littéraire est devenu le symbole à mes yeux de cette nouvelle relation plus professionnelle entre éditeurs et blogueurs.

J’ai adoré recevoir des livres d’éditeurs en tant que blogueuse, et cela m’enchante d’ailleurs toujours. Chaque été, j’avais donc le privilège de découvrir certains titres en avance dont je pourrais parler dès leur sortie. Mais cette année, j’ai frôlé l’overdose.

L’été dernier, je préparais un petit déjeuner de rentrée pour un éditeur à destination des blogueurs. J’ai vu certains enchaîner les présentations de chaque éditeur valise à la main, n’écoutant les auteurs que le temps d’une story, s’offusquant à la fin que l’éditeur ait fait le choix de ne pas donner à chacun l’ensemble de sa production. A la rentrée, alors que les coups de cœur pleuvaient sur les mêmes livres (ceux qui avaient été le plus distribués, forcément), j’ai déjà ressenti une forme de lassitude. Cet été a été le point culminant : voir certains blogueurs afficher dès le début de l’été une énorme pile de SP déjà reçus, et d’autres chroniquer dès juillet des livres qui ne paraîtraient pas avant septembre m’a hallucinée.

Je crois que je ne me suis juste pas reconnue là-dedans.

Au final ?

Je sais que beaucoup d’autres ont la même position, et je suis donc d’autant plus critique à l’égard de qui je vais suivre désormais. Mais en cela, mon rapport à la rentrée littéraire en a cruellement pâti : cette année, je lirai peut-être moins de livres de la rentrée. Je varierai avec d’autres romans, plus vieux, mais qui m’inspirent plus sur le moment. Et il n’y a rien de mal à ça. Mes découvertes n’en seront que plus belles.

Pour autant, je continue à adorer la rentrée littéraire. C’est une période un peu folle, un peu magique, et faire émerger des titres à cette période me réjouit chaque année.

Et vous, quel est votre rapport à la rentrée littéraire ? Est-ce une période que vous attendez avec impatience ou qui ne vous fait ni chaud ni froid ?

13 Comments

  • debora.moloc

    Merci pour ton article très interessant que j’attendais avec beaucoup d’impatience !

    Pour ma part, je guette toujours la rentrée littéraire qui est pour moi l’occasion de découvrir de nouvelles pépites. Ce qui me dérange le plus et dont tu parles très justement, c’est cette tendance à mettre toujours les mêmes romans ou les mêmes auteurs en avant. Ce que j’aime le plus faire c’est flâner en librairie et partir à la recherche de ces livres qu’on « oublie » un peu. Et j’ai fait de très jolies découvertes comme ça, tout comme j’ai pu avoir d’énormes déceptions de livres « incontournables » !

    • Laroussebouquine

      Merci beaucoup !

      Effectivement c’est aussi le plaisir de la rentrée en tant que lecteur, tomber sur de petites pépites un peu moins connues mais qui gagnerait vraiment à être découvertes !

  • Dorcas

    Hello,
    Voilà que je lis seulement ton article! Il est super intéressant.
    Je trouve que la rentrée littéraire est un événement très enrichissant car on découvre des nouveaux livres, on en parle un peu plus. Cependant, pour moi, je n’accroche pas plus que ça. Je regarde un peu les nouveautés mais voilà. Je ne vais pas foncer un acheter plusieurs ou en recevoir car je ne reçois aucun livre de maison d’édition.
    Toutefois, c’est quelque chose qui faut garder et je ne suis pas contre.

    Dorcas du compte instagram “douceurdulivre”

  • L&T

    Super intéressant cet article ! C’est passionnant d’en savoir un peu plus sur l’envers du décor. J’espère que tu feras d’autres articles sur les coulisses de l’Edition 😉

  • Sonia

    Super article Solène! Je te rejoins totalement sur la dernière partie. D’ailleurs, je n’utilise même plus le mot Bookstagram qui me donne envie de vomir…
    Et sinon, ton blog est juste sublime (le mien a pris une sacrée couche de poussière, tu me donnes envie de le pomponner).

  • Fanny

    Quel article passionnant et sincère! Cela fait du bien de lire quelqu’un qui travaille dans le milieu.

    Pour les SP, et je parle à mon niveau de petite blogueuse qui fête ses 4 ans, je n’en reçois réellement que depuis un an (voire un an et demi) et je trouve ce privilège énorme! Alors moi aussi j’ai frolé l’overdose cet été, comme toi, j’ai halluciné de voir ces piles de sp et les post qui arrivaient sans cesse.
    Je dois être naïve mais je suis déçue de lire que certains blogueurs (ou bookstagrammeurs, ) rouspètent de ne pas recevoir tout le catalogue! Mais franchement, les liront-ils tous!?

    Soit… je suis heureuse de revenir par ici 🙂

    • Laroussebouquine

      Merci beaucoup Fanny !
      Effectivement j’ai déjà assisté à ce genre de comportement de la part de blogueurs qui écumaient toutes les présentations de rentrée des éditeurs. J’aurai peut-être l’occasion d’y revenir dans un prochain article, mais m’occuper des relations blogueurs pour plusieurs maisons m’a parfois dégoûtée du milieu. Mais je risque d’en énerver certains en expliquant ça !

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