Bianca – Loulou Robert
Parce qu’elle devrait manger davantage et n’aurait pas dû s’ouvrir les veines à un si jeune âge, Bianca est admise dans l’unité psychiatrique pour adolescents de sa ville natale. Bianca ne s’élève pas contre cette décision. Elle ne se révolte pas. Même si elle ne voit pas en quoi le fait d’être enfermée et soumise à de multiples interdits peut atténuer la souffrance qui la détruit, Bianca se tait, obéit et regarde. Elle observe le monde chaotique qui l’entoure. Tous, médecins, soignants, patients et familles ont l’air si fragiles, si démunis… Aucun remède ne semble exister, aucune lumière ne paraît capable d’éclairer ce lieu opaque où Bianca a le sentiment effrayant de s’être enfermée toute seule. Et pourtant… La vie est là. Les sensations, les émotions, les visages, les événements, les affrontements, les pulsions, les sentiments vous cernent et vous travaillent au corps. On peut croire qu’on ne sait plus vivre, on vit tout de même. Et Bianca observe avec une attention scrupuleuse ce flot de vie inexorable qui, sans qu’elle n’y puisse rien, l’envahit, la ranime et la submerge. Avec une retenue rare et une lucidité tranquille, Loulou Robert retrace le déroulé de cette traversée singulière.
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Il y a des livres qui vous tendent les bras tout de suite, dès leur sortie, vous les voyez partout, et vous voulez les lire sans attendre. Mais il y a toujours d’autres livres qui passent avant, le temps passe, et parfois vous les oubliez. A moins que : certains restent tapis là, au fond de votre mémoire, et ils attendent juste leur tour.
Un premier roman que je voulais absolument lire
C’était le cas de Bianca pour moi. Il a dû rester en première position de ma wishlist pendant des semaines, des mois. J’ai vu l’auteur sur le plateau de La Grande Librairie, elle m’a totalement survendu le truc, et dès lors, je ne voulais que le lire. Je comptais l’acheter avec des chèques cadeaux, ou pour mon anniversaire, et finalement j’ai acheté d’autres livres qui devaient me sembler plus intéressants ce jour-là et bref (parce qu’au final on s’en fout un peu de toutes mes pérégrinations), j’ai fini par l’acheter en occasion chez Gibert Jeune en août, sous le regard amusé de mon copain qui me rappelait qu’on quittait Paris dans moins d’une semaine et que j’avais déjà empilé plus d’une dizaine de livres qui ne rentraient pas dans ma valise.
Ce livre a été un gros de coup de cœur. Je m’y attendais, mais quand même. Je crois que j’ai pris la mesure de ce coup de cœur seulement une fois que j’ai refermé le livre. Pendant ma lecture, j’avais le sentiment de lire quelque chose de bien écrit, intéressant. Bref, un bon truc, qui tient la route. Mais sans plus. Mais en voulant attaquer un autre livre juste après celui-là, je me suis rendu compte que je m’étais totalement trompée. Bianca, c’est bien plus qu’un livre juste bien écrit.
La sortie de route d’une adolescente
C’est l’histoire d’une jeune fille brillante, une ado qui a perdu pied. Après une tentative de suicide, elle est internée à l’hôpital des Primevères, dans le service psychiatrique dédié aux adolescents. Elle est censée retrouver le goût de vivre dans un endroit où tout pousse à l’inverse, et nous décrit ses journées sur un ton ultra désabusé.
Je me suis tout de suite concernée par ses propos. J’ai connu la dépression de près et ses pensées sonnaient juste. Elle montre son mal-être sans pudeur ni vraiment de pathos. Elle revient vaguement sur la raison de son internement, même si elle se préoccupe plutôt de la façon dont elle pourrait sortir de là. Elle a un instinct de vie énorme même si tout pourrait laisser penser le contraire.
“Je ne sais plus exactement ce à quoi je pensais quand j’ai pris ce cutter dans le tiroir de la cuisine. Sûrement pas à Lenny. Je pensais à moi. Certains disent que les gens qui tentent de se suicider sont égoïstes. En un sens, ils ont raison. Mais ceux qui tiennent ces propos ne savent pas ce que c’est que de n’avoir plus goût à rien. D’être mal au point d’en oublier les personnes que l’on aime et d’être prêt à en être séparé pour toujours.
Ce n’est pas une vie que de vouloir mourir. Il fallait que ça s’arrête.”
Ce billet me semble vraiment très difficile à écrire, dans la mesure où j’ai adoré ce livre de bout en bout. Il est très bien construit, il nous fait réfléchir au mal-être adolescent, à nos familles, nos relations, la façon dont on voit les choses à seize/dix-sept ans. Bianca veut vivre au fond ; elle ne sait juste pas comment. Ses rencontres à la clinique vont toutes peu à peu l’aider à retrouver des sentiments humains (même le dégoût et la haine, c’est toujours ça de gagné).
Une plume pleine de fougue
Loulou Robert a une plume acerbe, vive, mais qui nous aide tout de suite à nous plonger dans la peau du personnage. Bianca est une jeune fille lumineuse qu’on voudrait rencontrer, à la fois fragile et écorchée vive. Elle nous partage son quotidien si loin de la réalité, où sortir boire un Coca dans un bar devient un verre, mais en même temps si commun. Elle nous raconte les médecins, les plus malins que d’autres, les infirmières gentilles et les infirmières chiantes, on compatit, on rigole avec elle.
“On a toujours besoin de croire en quelque chose, surtout quand on est enfant. On croit au Père Noël, aux monstres, aux parents, aux bonnes notes. Quand on a plus tout ça, il reste quoi ? Quand je regarde ma famille, mon lycée, ce qui se passe dans le monde… je n’y crois plus.
Et quand on le perd. Hope, c’est nous qui sommes perdus.
Dans les Happy Ends de TF1, on dit que Noël est la fête de l’espoir.”
Bianca est une gamine sans en être une, elle est immédiatement attachante, et on veut savoir ce qui adviendra d’elle, non sans un peu d’appréhension.
C’était sans conteste mon coup de cœur du mois d’août, et il figurera parmi mes meilleures lectures de l’année. Une lecture forte mais aussi pleine d’humour (malgré le sujet !), un premier roman bluffant, éblouissant, qu’on garde forcément en mémoire un bon moment.
“- Bonjour, mesdemoiselles.
– Non, Edith, non. Il n’est pas encore huit heures.
– Huit heures moins dix, Clara. Je suis en avance de seulement dix minutes.
N’importe quoi, tu n’as rien compris, Edith. Dix minutes, c’est regarder la moitié d’un épisode de Friends, dire six cents fois “merde”, embrasser quelqu’un de la tête au pied, faire l’amour, faire un bébé, boire un litre de jus d’orange, perdre des millions, gagner des millions, sauter du six centième étage et s’écraser la tête contre le béton, rater une coupe de cheveux, écouter trois fois “All you need is love” des Beatles, tuer quelqu’un, épouser quelqu’un, faire exploser une bombe. Compte à rebours, dix minutes. Alors, non Edith. Une vie peut changer en dix minutes. Regarde, là, je pourrais très bien avoir un flingue et tuer toutes les personnes du service, toi y compris, prendre l’ascenseur, descendre les six étages et sortir de l’hôpital. Tout ça en dix minutes.”
–
Bianca ; Loulou Robert
Julliard
4 février 2016
306 pages
5 Comments
Electra
Moi j’aime bien lire tes pérégrinations ! on prend souvent des chemins de travers pour dénicher un livre ! Comme j’ai eu la sensation étrange de devoir absolument mettre la main sur Dodgers !
Le livre a l’air très fort mais le sujet, pas trop mon truc ! Mais tu lui rends un fort bel hommage !
Laroussebouquine
C’est déjà ça, pour moi ma chronique était calamiteuse mais bon.
On est jamais content de son travail n’est-ce-pas !
Et je suis très contente de savoir que mes pérégrinations font au moins rire une personne 😛
Le poussin littéraire
J’ai également eu un coup de coeur pour ce premier roman juste et percutant
Laroussebouquine
Je pense que nous ne sommes pas les seules, beaucoup l’ont apprécié, et je comprends pourquoi !
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