Trancher d’Amélie Cordonnier aux éditions Flammarion est encore un premier roman féminin que j’avais repéré en cette rentrée littéraire. Les premiers romans m’attirent toujours un peu plus que les autres ; pleins de promesses, ils permettent de faire connaissance avec de nouvelles plumes, et je fais chaque année avec eux de splendides découvertes. J’étais d’autant plus attirée par celui-ci que le sujet m’interpellait beaucoup ; si on parle souvent de la violence conjugale physique, on parle rarement de celle qui ne laisse pas de marques, si ce n’est dans la tête.
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“Des pages et des pages de notes. Tu as noirci des centaines de lignes de ses mots à lui. Pour garder une trace, tenter de les désamorcer, avec le pathétique espoir qu’ils allaient s’incruster ailleurs qu’en toi.”
Cela faisait des années qu’elle croyait Aurélien guéri de sa violence, des années que ses paroles lancées comme des couteaux n’avaient plus déchiré leur quotidien. Mais un matin de septembre, devant leurs enfants ahuris, il a rechuté : il l’a de nouveau insultée. Malgré lui, plaide-t-il. Pourra-t-elle encore supporter tout ça ? Elle va avoir quarante ans le 3 janvier. Elle se promet d’avoir décidé pour son anniversaire.
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Dans deux semaines, le 3 janvier, elle aura quarante ans. Il y a ceux qui regardent D&CO, une semaine pour tout changer. Elle en a deux devant elle, deux pour tout quitter.
Trancher, c’est l’histoire d’une décision impossible, d’une femme sous emprise qui malgré les insultes supporte tout, tant qu’il y aura l’amour. Ou même si l’amour ne se voit plus beaucoup, juste parce qu’elle sait qu’il a existé, et qu’il est là, pas bien loin, tapi dans l’ombre. Elle consigne les insultes sur son portable, tant qu’il peut les stocker. Parce qu’en écrivant la violence, on l’exorcise un peu. Et surtout, on ne l’oublie pas. Quand elle se dit qu’au fond, ce n’est pas si grave, elle voit que si, ça a existé. Qu’elle a souffert, et qu’elle risque de souffrir encore. A moins de trancher.
Pour comprendre cette violence, il y a les origines de cette histoire d’amour. Celle qui avait bien commencé, avec romantisme et clichés à l’appui. Et puis les premières insultes, celles qu’on laisse passer même si elle font mal, parce qu’on se dit que ce ne sont que des mots. Et il y a celles de trop. Celles qu’on ne peut plus endurer.
“La mort dans l’âme, tu t’étais couchée à ton tour. Tu t’étais dit que ce n’était pas qu’une expression. On ne meurt pas sous le coup des mots, aussi violents soient-ils. Le trou dans le plexus, les morsures, les lames et les aiguilles qui meurtrissent ta chair n’étaient que métaphoriques.”
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A travers ce roman court mais incisif, Amélie Cordonnier décrit les mécanismes de l’emprise à travers le portrait d’une femme qui endure la violence et le harcèlement moral de son mari sans jamais se résoudre à partir. L’auteur décrit cette violence de façon très juste, sans jamais tomber dans le mélodrame. Le propos est volontairement cru, car la violence des mots fait autant de mal qu’une gifle en pleine figure. La plume de l’auteur est vive, acerbe et attrape d’emblée son lecteur sans pouvoir le relâcher avant la fin.
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Trancher d’Amélie Cordonnier est un premier roman particulièrement fort sur un sujet difficile et dont on parle encore trop peu aujourd’hui, sur la violence sourde au sein d’un couple, et l’emprise qu’un partenaire peut avoir sur l’autre. Une franche réussite ; je suivrai sans hésiter les prochains romans de l’auteur !
3 Comments
anouklibrary
J’ai très très très envie de le découvrir! J’ai hésité l’autre jour en librairie.
Laroussebouquine
C’est une de mes plus belles découvertes de cette rentrée pour l’instant. N’hésite plus !
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